Hery Randriamalala est l’un des auteurs d’un rapport publié en 2010, « Bois de rose de Madagascar : Entre démocratie et protection de la nature », rapport qui avait largement contribué à sensibiliser l’opinion nationale et internationale sur le pillage des parcs nationaux de Madagascar. Il a accepté de faire le point de la situation avec Madagascar-Tribune.com. À ses yeux, la menace change de nature, la mafia qui profite du trafic illicite du bois de rose s’attaque également aux pierres précieuses que contiennent ces parcs nationaux.
Question : Que pensez-vous de la situation actuelle en matière de trafic de bois de rose ?
<doc9895|left>Réponse : Je suis plutôt satisfait de l’évolution du dossier. Dans les aires protégées, la coupe a très fortement diminué, mais elle n’a pas disparu. Depuis quelques semaines, le gouvernement semble avoir pris la mesure du problème et le ton a changé. Après la période de folie (février 2009 à mars 2010) , où tout était permis, on a eu la période d’accalmie (avril 2010 à juin 2011). Durant cette période, les exportations officielles ont cessé, remplacées par la contrebande : quelques conteneurs ici ou là, embarqués de nuit sur les plages du Masoala ou avec des faux documents dans les ports officiels. J’espère que maintenant, nous allons entrer dans la phase de répression, mais ce n’est pas certain.
Q : Pourquoi ?
R : Allez faire un tour dans Antalaha, vous y verrez les plus beaux 4x4, les plus chers et en grand nombre. Il est évident qu’aucune autre activité que le trafic de bois de rose n’a pu générer autant d’argent. À ma connaissance, aucun des trafiquants cités dans notre article (Randriamalala, H. et Liu, Z. 2010. Bois de rose de Madagascar : Entre démocratie et protection de la nature. Madagascar Conservation & Development 5, 1 : 11-22. Supplementary Material. http://www.journalmcd.com/index.php/mcd/rt/suppFiles/167/0) n’a été inquiété. Et pour cause : il est difficile de prouver que leur bois provient des parcs nationaux, faute de traçabilité. Comme ils ont déclaré spontanément leurs stocks quand l’Administration leur a demandé de le faire, ils vont bénéficier d’une sorte d’amnistie automatique pour leur bonne foi. Et maintenant, ils ont fait alliance avec l’élite financière de la capitale.
Q : Vous évoquiez la parution de votre article. Quel impact a-t-elle eu sur le trafic ?
R : Cet article a été téléchargé plus de 50 000 fois, ce qui est exceptionnel vu sa taille, et il faut y ajouter la diffusion par pièce jointe en courriel. Il a changé plusieurs choses :
– la presse quotidienne nationale a maintenant une orientation qui est correcte sur ce dossier et une liberté de ton que je trouve aussi surprenante qu’encourageante ;
– les trafiquants se sont adaptés à cette publication. Puisque les ports officiels et habituels (Vohémar notamment) étaient sous haute surveillance, alors ils ont déplacé leur activité vers des ports moins surveillés ou moins au fait du problème du bois de rose. C’est ainsi qu’on a eu l’affaire du palissandre à Mahajanga (le bois y est toujours bloqué), puis du bois de rose à Fort-Dauphin et même à Tuléar. Mais en petite quantité. Ensuite, une nouvelle génération de trafiquants est apparue. Après les opérateurs historiques d’Antalaha (13 officiellement en 2009, rapidement devenus 23 puis 40 en 2010), on a vu apparaître des notables d’Antananarivo, des financiers qui ont vu là un placement à haute rentabilité et presque sans risque. Ils ont l’argent et les contacts politiques. Ceux d’Antalaha et de Maroantsetra ont le bois. Alors ils ont fait alliance.
Q : Comment jugez-vous les mesures récentes du gouvernement ?
<doc9896|right>R : Avec nuance... Le point très favorable, c’est la fermeté du ton en haut lieu, ainsi que l’action énergique du ministre de l’Environnement, menée depuis 2 ans. J’entendais récemment la conversation de deux dames de la bonne société de la capitale : une voulait faire tourner son argent dans le bois de rose (un placement comme un autre, selon elle), tandis que l’autre objectait sa peur d’aller en prison. Je crois qu’à défaut de conscience environnementale, la peur du gendarme est salutaire. Je suis plus réservé sur les mesures annoncées par Andry Rajoelina : elles vont dans la bonne direction, mais elles ne semblent pas assez mûries :
– passer au scanner tous les conteneurs quittant Madagascar : très bien, mais je crois qu’il n’y a pas un scanner dans chaque port. Que fait-on dans les autres ports, pour la vanille, le café, le girofle, la ferraille, etc. ?
– survoler une heure par jour en hélicoptère les zones de coupe dans le Masoala : bien, mais l’heure de vol coûte cher. L’État malgache aura-t-il les moyens de faire durer cette surveillance ? Ensuite, il est quasiment impossible de déterminer depuis le ciel quelle essence d’arbre est en cours de coupe. L’hélicoptère est plus utile pour rechercher les dépôts cachés, mais rien ne remplacera jamais le renseignement donné par la population. Tiens, une information toute chaude pour le ministre de l’Environnement : si vous envoyez votre hélicoptère aux abords de Maroantsetra, au nord de la piste entre le dépôt SOLIMA et Varangotra, il y trouvera un dépôt de bois précieux appartenant à un certain Max, beau-frère d’un grand trafiquant de bois de rose de la ville.
En fait, ces mesures auraient du être prises il y a un an, dès l’interdiction de la coupe et des exportations.
Q : Comment expliquez-vous alors ce revirement du gouvernement, cette fermeté nouvelle sur ce dossier ?
R : Il y a deux raisons à ces effets de menton :
– l’octroi de 60 millions de dollars d’aide par la Banque Mondiale, sous réserve de bonne gouvernance environnementale ;
– l’hypersensibilité de la presse nationale sur ce sujet. La moindre saisie de bois de contrebande fait la une de tous les journaux et le ton des articles est très agressif envers la HAT.
La réaction de la HAT vise donc à persuader la Banque Mondiale que le gouvernement maîtrise ce trafic.
Q : Selon vous, les parcs nationaux sont-ils hors de danger maintenant ?
<doc9897|left>R : Non, hélas. La coupe de bois de rose a donné de mauvaises habitudes à beaucoup de gens. Aujourd’hui, la menace est d’origine minière. La Réserve Spéciale d’Anjanaharibe-Sud est actuellement l’objet d’un pillage intensif de la part des chercheurs de pierres précieuses et semi-précieuses. Ces mineurs, et les acheteurs chinois qui les accompagnent, ont quitté la région d’Ampanefena, au nord de Sambava, où les pierres sont maintenant rares. Ils se sont massivement installés à Andapa, porte d’entrée d’Anjanaharibe-Sud. Les mineurs cherchent surtout du quartz à inclusion de titane, pour la joaillerie, mais aussi du quartz ordinaire pour l’industrie. Le personnel de Madagascar National Parks est dépassé par leur nombre. Les forces de l’ordre sont facilement abusées par les acheteurs. Pour sortir leur production du parc, ils font appel à des femmes qui cachent les pierres dans leur sexe, échappant ainsi à une éventuelle fouille. Ensuite la production quitte le pays, direction la Thaïlande, sans passer par la case « taxes ». Une nouvelle fois, les aires protégées et la biodiversité qu’elles abritent, la vraie richesse de Madagascar, celle qui rapporte longtemps et au plus grand nombre, sont pillées au bénéfice de quelques-uns et au détriment de l’État. La même situation, en moins intense il est vrai, se passe actuellement dans le Makira, vers Rantabe, et même dans le Parc National du Masoala, vers Ambanizana. On a déjà connu les mêmes saccages à Ilakaka près du Parc National de l’Isalo et dans la Réserve Spéciale de l’Ankarana il y a quelques années. Ces parcs ont beaucoup souffert et ont du être fermés partiellement au public.
Q : Que pensez-vous de l’idée de saisir le bois au niveau de l’État et de le vendre par appel d’offres ?
R : La saisie est une excellente idée, qui elle aussi aurait du être appliquée depuis longtemps. Mais toute forme de vente (par dédommagement pour la saisie des stocks déclarés, par vente aux enchères ou par appel d’offres) est contre-productive. Je crains qu’elle ne relance la coupe à très court terme, en réalimentant le cycle coupe-stockage-exportation. À mon sens, il faudrait détruire ce bois, pour envoyer aux trafiquants un message clair et définitif. Si l’État veut renflouer ses caisses pour améliorer le bien-être de la population ou payer ses élections, je suggère qu’il saisisse le patrimoine illégalement acquis par les trafiquants. Le décompte est facile à faire : les bénéfices déclarés depuis janvier 2009 (puisque le bois est d’origine illégale) plus les bénéfices non-déclarés (le double environ) plus une amende. Le tout devrait se compter en centaines de millions de dollars.
Q : Quels sont vos projets actuellement ?
R : j’ai participé à un ouvrage collectif qui est en cours d’impression. Il jette quelques éclairages sur le coup d’État de 2009. Sortie prévue avant les élections. Ensuite, une page FaceBook dédiée aux atteintes à l’environnement malgache a été créée. Si un lecteur observe quelque chose d’illégal, qu’il écrive à es.malgaches@gmail.com en donnant le maximum de détails : faits, photos, coordonnées, dates, noms. Pour consulter cette page, allez à
http://www.facebook.com/pages/Envoy%C3%A9s-Sp%C3%A9ciaux-Madagascar/116138131815024
Interview réalisée par Mona M.
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