L’étau se resserre autour de Ravatomanga à Maurice, silence total à Antananarivo

L’affaire Mamy Ravatomanga, qui secoue depuis plusieurs jours la scène économique et judiciaire mauricienne, prend désormais une tournure aux dimensions régionales. Pendant que les autorités mauriciennes intensifient leurs investigations autour du puissant homme d’affaires malgache et prévoient même de le présenter devant la Cour de justice mauricienne ce jeudi, le silence des autorités à Antananarivo interroge et alimente les spéculations sur un dossier explosif mêlant finance, pouvoir et diplomatie.

À Port-Louis, les jours se suivent et l’étau judiciaire se resserre. Hier, Mamy Ravatomanga, patron du groupe Sodiat et figure incontournable du monde des affaires malgache, a été entendu par la Financial Crimes Commission (FCC) dans le cadre d’une enquête pour blanchiment d’argent et trafic d’influence. Arrivé en ambulance sous haute surveillance médicale, escorté par la police et son équipe juridique, il a été interrogé pendant quatre heures avant d’être reconduit à la clinique Premium Care pour observation.

Selon le journal mauricien Défi Média, Ravatomanga devrait être présenté ce matin au tribunal de Port-Louis pour y faire face à trois accusations provisoires : deux délits de blanchiment d’argent portant sur Rs 7,3 milliards. Ces fonds auraient été transférés de Madagascar vers Maurice, une partie transitant par ses comptes personnels et l’autre via des sociétés mauriciennes qui lui sont associées et une accusation de « Conspiracy » (entente délictueuse pour trafic d’influence), concernant sa rencontre avec l’ex-commissaire de la FCC, Me Junaid Fakim.

Les enquêteurs mauriciens, appuyés par la Financial Services Commission (FSC), examinent également la structure d’un réseau complexe d’entreprises – près de 200 sociétés liées à Ravatomanga – soupçonné d’avoir servi à dissimuler des transferts de fonds transfrontaliers. Selon des sources proches du dossier, plusieurs millions de roupies auraient transité entre Maurice, l’Europe et l’Afrique via ces sociétés-écrans, certaines aujourd’hui inactives ou enregistrées sous des noms différents.

La ministre des Services financiers mauricien, Jyoti Jeetun, a tenu à rassurer l’opinion publique, mauricienne en affirmant qu’« il n’y a aucune complaisance de la part du gouvernement mauricien » et que la réputation du centre financier de Maurice reste une priorité nationale. L’affaire survient à la veille de l’évaluation du pays par le groupe régional ESAAMLG, chargé de vérifier la conformité des États aux normes internationales contre le blanchiment d’argent.

Une dimension diplomatique inattendue

L’affaire dépasse désormais le strict cadre judiciaire. Une délégation ivoirienne est attendue à Maurice pour évoquer le cas de Ravatomanga, qui détient le titre de consul honoraire de Côte d’Ivoire. Une question sensible se pose : l’immunité diplomatique associée à cette fonction pourrait-elle entraver les poursuites en cours ? Cette éventualité, bien que contestée par plusieurs juristes, fait déjà planer une ombre sur la suite du dossier et pourrait faire basculer l’affaire sur le terrain diplomatique.

Les autorités mauriciennes, conscientes des répercussions internationales possibles, redoublent de prudence. Le nouveau directeur de la FSC, Désiré Vencatachellum, a d’ailleurs souligné la nécessité de renforcer la communication avec les acteurs du secteur pour préserver la crédibilité du système financier mauricien.

Les autorités malgaches se taisent

Pendant ce temps, à Antananarivo, c’est le silence absolu. Ni le gouvernement, ni la ministre de la Justice, Fanirisoa Ernaivo qui, avant sa nomination en tant que ministre de la justice et a été mandatée à poursuivre l’homme d’affaires malgache à Maurice, et également connue pour ses prises de position passées contre les dérives du pouvoir économique, restent muets.

Les rares perquisitions menées à Madagascar dans les sociétés du groupe Ravatomanga se sont soldées par des résultats insignifiants, alimentant les critiques contre un régime accusé de protéger les intérêts de ses proches. Sur les réseaux sociaux, les réactions fusent. Certains y voient la preuve d’un « deux poids, deux mesures » dans la lutte contre la corruption. D’autres s’interrogent sur la véritable influence de Ravatomanga, considéré par une partie de la population comme intouchable depuis plusieurs années.

Une affaire à portée régionale

Entre rigueur judiciaire à Port-Louis et inertie politique à Antananarivo, l’affaire Ravatomanga met en lumière deux visions opposées de la transparence et de la responsabilité publique dans la région. Si Maurice cherche à démontrer sa fermeté pour préserver sa place dans la finance internationale, Madagascar semble hésiter à affronter l’un de ses plus puissants hommes d’affaires.

Dans ce contexte, le dossier Ravatomanga pourrait bien dépasser les frontières de l’océan Indien, impliquant à terme des enjeux diplomatiques avec la Côte d’Ivoire et d’autres partenaires économiques.