On a souvent reproché à la politique malgache de manquer de vision, de naviguer à vue entre deux ajustements structurels et trois promesses de campagne aussi vite oubliées qu’énoncées. Mais le problème est plus profond… On l’a déjà énoncé.
Ce qui manque à la Grande Île ce n’est pas seulement ou du bitume pour ses routes ou des devises pour sa Banque Centrale … Il manque à sa gouvernance une colonne vertébrale … Une éthique… Qui ne soit pas que déclarative.
De fait, si le rapport (voir en pièce jointe) de la commission politique de la concertation nationale chrétienne [1] peut nous faire de manière épidermique hurler au loup d’une dérive théocratique, une analyse plus poussée s’impose… D’autant que le Président confie au FFKM l’organisation des assises nationales.
Ce n’est pas un simple manifeste clérical. Ce document pose le diagnostic clinique d’une nation qui a perdu son âme. Il ne s’agit pas ici seulement de s’alerter de la potentielle montée d’une théocratie pour gouverner la Nation, mais de comprendre ce qui motive les chefs d’Églises quand ils remettent en question le socle constitutionnel actuel.
Face à la faillite morale d’une classe dirigeante rongée par la corruption et l’amateurisme, la concertation dit ne pas proposer une prise de pouvoir, mais une prise de conscience… un électrochoc spirituel pour tenter de réanimer une citoyenneté moribonde.
Le Citoyen-Chrétien : une exigence, pas une exclusion
Il faut relire le texte avec froideur pour ne pas se méprendre sur l’intention.
Lorsque le rapport énonce « Tsy azo sarahina tanteraka ny maha-Kristianina sy ny maha-olom-pirenena », il faut y lire « ton identité chrétienne et ton identité de citoyen font partie d’un même “toi”. Tes choix politiques, professionnels, associatifs, ton rapport à la justice, à la corruption, à la solidarité… doivent être cohérents avec ta foi ».
Et on peut l’étendre … La foi n’est pas enfermée dans le privé ou le culte. Elle appelle le croyant à se préoccuper du bien commun : de justice sociale, de défense des plus vulnérables, de respect des lois justes, de participation à la vie publique. Le “maha-Kristianina” pousse à un “maha-olom-pirenena” responsable. Et le postulat « le fait d’être chrétien et le fait d’être citoyen sont indissociables », ne pose pas une condition d’accès à la nationalité, mais bien une obligation de résultat pour le croyant.
C’est une injonction à sortir des sacristies et des presbytères. Le message est clair : on ne peut pas se dire chrétien le dimanche et piller les caisses de l’État le lundi. C’est un appel à la fin de la schizophrénie malgache… cette capacité effrayante à dissocier la foi privée de l’inconduite publique.
Le projet ne semble par ailleurs pas être un projet d’exclusion : il est explicitement fait mention de la nécessité d’une Église qui « respecte également l’existence des autres religions ».
L’enjeu est ailleurs. Il est semble-t-il dans la quête inquiète d’un nouveau « mindset », d’un changement de mentalité radical. On peut sentir, à travers les lignes, la lassitude des hommes de foi face à l’inefficacité des lois. Et puisque le Code Pénal ne suffit pas à empêcher le vol, puisque les institutions de lutte contre la corruption tournent à vide, on invoque désormais une instance morale supérieure.
Quant à la référence à Zachée « Ny “Zakaiosy” dia fampibebahana, tsy sazy ; mila rafitra tsy mivadika amin’izany. », elle est peut-être loin d’être anodine.
Elle va en hérisser quelques-uns qui ne verront dans cet appel à la transformation et à la repentance du coupable plutôt qu’à sa sanction brutale que a) une tentative d’absolution des pourris de l’ancien régime b) un vœu pieu (un pieu vieux ?) de re-moralisation des méchants …
Mais il faut quand même avoir à l’esprit que Zachée, dans l’Évangile, ne se contente pas de demander pardon ; il rend ce qu’il a volé, au quadruple… On est sûrs de renflouer les caisses avec ce principe… S’il est appliqué…
Transposé à la politique malgache, ce principe de réparation est révolutionnaire. Imaginez un instant nos élites politiques et économique passées et actuelles soumises à cette exigence : « On vous menace non pas de la prison, qui ne répare rien, mais de la restitution … Au quadruple … Et de la transformation de l’état d’esprit… ».
L’idée pourrait être séduisante. Elle touche à quelque chose de profondément ancré dans notre culture mais qu’il serait temps d’actualiser : cette référence sempiternelle au Fihavanana qui, sous l’alibi de la concorde, masque en fait la complaisance et la compromission. On passerait peut-être à l’adoption de vrais mécanismes de vérité et de transparence…
Et puis abandonner le système de la sanction brutale et froide devrait soulager la surpopulation carcérale. L’enjeu de ce principe de réparation redevient alors un enjeu de gouvernance et d’organisation judiciaire.
La tentation de la vertu par décret
Cependant, et c’est ici que l’analyste doit reprendre sa place face au moraliste… Le chemin de « l’enfer » est pavé de bonnes intentions… surtout quand elles se prétendent constitutionnelles…
Le modèle laïc importé de l’occident, pour n’avoir jamais réussi à empêcher nos dérives, a effectivement montré sa vacuité. Mais le remède brutal d’un virage théologique de la gouvernance du pays peut être des plus dangereux.
Le rapport de la commission politique de la concertation semble suggérer de « supprimer la laïcité » pour asseoir l’État sur des « valeurs chrétiennes ». C’est un gros double saut périlleux avec salto qu’il s’agit de réaliser… Si certaines valeurs chrétiennes sont universelles, graver la morale dans le marbre de la Constitution, c’est CONFONDRE LE PECHE ET LE DELIT.
C’est prendre le risque de transformer l’État, la maison commune, en un tribunal des consciences… On rêve d’un virage idéologique et de la construction d’une nouvelle conscience citoyenne… Mais pas d’un système d’aliénation des masses sous couvert de la pureté d’une doctrine morale à défendre… Pol Pot ne serait pas loin, même habillé de blanc clérical. On ne peut passer brutalement d’une république sans foi ni loi à une république à trop de foi et trop de loi…
L’idée d’introduire des « sentinelles » chrétiennes au sein des structures de l’État part d’une certaine logique : celle d’avoir des gardiens de l’intégrité, des vigies éthiques. Mais comment ne pas voir le danger opérationnel ? Qui gardera les gardiens ? On sait malheureusement ce que sont capables de faire des « gardiens de la révolution » dans l’histoire contemporaine.
Dans un pays où le Fifanajana (respect mutuel) est déjà mis à mal par les luttes partisanes, donner un mandat de surveillance morale à une institution religieuse, c’est ouvrir une grosse boîte de Pandore.
Le risque serait au pire l’instauration d’une théocratie brutale à l’iranienne, et au mieux le glissement vers une « démocratie de la dévotion » où l’apparence de la piété deviendrait le critère ultime de la compétence.
On énonce que seules des personnes « justes et intègres, préalablement éprouvées » peuvent accéder aux responsabilités. Sur le papier, qui serait contre ? Mais dans la réalité de nos jeux de pouvoir, qui délivrera le certificat d’intégrité ? … Si ce n’est pas comme cela qu’on crée une nouvelle oligarchie, non plus basée sur l’argent ou le parti, mais sur la proximité avec l’autel…![]()
Vers une laïcité contextuelle ou une impasse constitutionnelle ?
Face à ce risque, les travaux de Lalao Tsiarify nous proposent une clé de lecture apaisée. Elle propose d’inventer une « laïcité contextuelle » qui, fondée sur les réalités culturelles locales, obligera à intégrer dans le champ public d’autres croyances, notamment l’Islam (dont le rôle politique grandit) et les religions traditionnelles. Cette reconnaissance du pluralisme agirait ainsi comme un contre-pouvoir : une théocratie s’installe difficilement dans un système qui reconnait officiellement la diversité et l’égalité de multiples croyances … Et de la tradition.
La concertation a raison de dire que les constitutions précédentes étaient des « copiés-collés » déconnectés du réel malgache. Nous avons besoin de penser l’État avec nos propres catégories, notre propre langue, notre propre rapport au sacré. Mais cette reconstruction identitaire ne doit pas se faire par exclusion.
Si l’objectif est de bâtir un Fanjakana Malagasy solide, il doit pouvoir abriter le chrétien fervent, le musulman pieux, et le traditionaliste attaché aux razana… Et le laïc farouche… Et les acteurs de la Société Civile.
La morale qu’on semble appeler de nos vœux est une « morale civique » d’inspiration chrétienne. Si l’Église parvient à insuffler cette exigence d’intégrité dans la société civile, par l’éducation et la sensibilisation, elle aura rempli sa mission prophétique.
Si elle cherche à l’imposer par des verrous constitutionnels et des prestations de serment obligatoires devant Dieu, elle risque de détruire ce qu’elle veut sauver.
La politique est un métier, pas seulement une vocation. Elle requiert de la technicité, du compromis, et une gestion du profane qui s’accommode mal des absolus théologiques.
Vouloir que la théologie « éclaire et corrige » l’exercice du pouvoir est une ambition intellectuelle intéressante… Mais le pouvoir, par nature, a tendance à corrompre tout ce qu’il touche… y compris la théologie. L’enfer est toujours pavé de belles intentions … Et les gens en blanc devraient avoir l’humilité et la sagesse de le reconnaitre.
Conclusion
Le diagnostic de la concertation est un miroir tendu à notre propre décadence : nous avons construit une République sans républicains, un État de droit sans justice. L’appel à un sursaut moral, à ce « nouveau mindset », est salutaire, voire vital.
Mais attention à ne pas confondre la fin et les moyens. On ne légifère pas sur les âmes comme on légifère sur la TVA.
Le véritable défi de cette reconstruction n’est pas d’inscrire Dieu dans la Constitution, mais de faire en sorte que l’homme politique, qu’il jure sur la Bible ou sur l’Honneur, ait enfin peur de trahir la parole donnée au peuple. C’est là, et nulle part ailleurs, que réside la véritable sacralité de la fonction publique.
Patrick Rakotomalala (Lalatiana PitchBoule). 30/11/2025
Les Chroniques de Ragidro
Références
Tsiarify, L. S. A. (2013). L’imbrication du politique et du spirituel à Madagascar : un défi pour la laïcité. Chrétiens et sociétés.
Commission Politique de la concertation nationale chrétienne. (2025). Rapport Final. Version malagasy et traduction
Mandat du président au FFKM. Version malagasy et traduction
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Vos commentaires
J’adhère à vos écrits de ce jour !
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Moi aussi d’accord avec vous Patrick. Mais le problème c’est aussi celui ci : Les hommes de L’ église peu importe catho, protestants, ortho, sectaires ou autres sont devenu aussi médiocres, que leur politiciens. Ceci est un résultat de la vie socio politico economico religieuse petit à petit mis en k.o. par les chefs de l’Etat et leur equipes pratiquement depuis d’indépendance de ce pays !
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je conteste le fait que l’ église voir le clergé s’ occupe de l’ éducation.
C ’est au sein de la Famille et à l’ État à y pourvoir, l’ église comme la « mosquée » ne sont là que pour rappeler les valeurs morales et éthiques et ne peut venir qu’ en appui de la Famille comme de l’ Etat .
Un bémol pour l’ islam qui sous couvert de religion cumule aussi la politique en s’ octroyant tous les pouvoirs pour imposer da « démocrature »
Si on a séparé l’ église et le pouvoir, essayer une nouvelle méthode vita Gasy me parait hasardeuse, pour ne pas dire risquée .
Remettre au gout localy ce qui a été expérimenté & supprimé ailleurs depuis des lustres est du temps perdu face à la détérioration des valeurs, et fomba Malagasy .
Que chacun reste dans son pré carré et les ouailles seront bien gardées .
Mélanger la politique et la religion (partage du pouvoir) n’ ont jamais fait bon ménage .
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Un bémol pour l’ islam qui sous couvert de religion ........
Oui , je dirais même « gros » Bémol.
Ca s’implante en silence , regarder ce qui se passe dans les autres pays.
Malagasy 34 j’ essaye d’ être le plus modéré possible, oreilles chastes & sensibles obligent .
Quand on voit ce qui se passe C/° renimalala dont il est plus qu’ inconvenant de parler , seuls toujours les memes vous diront que vous etes un humanophobe & donc raciste pour clore le sujet qui ne fait pas que les déranger , les memes, victimaires qui viendront pleurer et s’ en plaindre comme toujours, alors qu’ il est DEJA trop tard ! ...
Lalatiana
Contrairement aux dires de Karl Marx « la religion est l’opium du peuple » ,paradoxalement les dires bibliques apportent la moralité et la valeur éthique à condition de ne pas les travestir à ses convenances dans le comportement au quotidien :
– Quand on parle des règles communes pour transformer les règles sociales et sociétales ,il y a des exigences à suivre pour que les êtres du commun mortel ne transigent aux valeurs imposées .
– Le Colonel Randrianirina ,lui même est un Homme de l’église ,un ’Mpiandry ’ logiquement qui n’aime que la voie de la droiture en rejetant le système corrompu en parlant de la moralité .
– Donc , même si je fais allusions à la religion ,le monothéisme de tous les croyants ,un pays a besoin de changement en commençant par la mentalité et les valeurs morales y compris toutes les ressources énergétiques des valeurs non religieuses pour y parvenir afin de remettre des bases structurelles qui tiennent la route au fil du temps . Les coutumes ancestrales sont basées sur les notions ; du fihavanana et le soatoavina ,valeurs quasiment foulées au pied avec les dérives sectaires et les gourous ,les manipulateurs qui se prennent pour le Christ .
– Par ailleurs on parle de la séparation de l’état et l’église pour avoir de la transparence mais ce qui devrait être mis en commun c’est : la loi ,une constitution adaptée et respectée ,ainsi que des programmes de développement pérennes ,des élus , ...pour remettre en marche la machine judiciaire et économique ( ny fanatsarana ny sosialim(bahoaka ).
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« La Lachine judiciaire » devrait être indépendante et pouvoir révoquer le premier qui enfreint la constitution, force est de constater qu’ on en est plus que très loin !
Tout ça c ’est de la théorie pour endormir le gogo ou mougeon : si vous préférez ?
Ca tombe bien :
Vie de la Nation - Le Cardinal Tsarahazana dénonce un « christianisme de façade »
"Clair et direct. Le Cardinal Désiré Tsarahazana n’y est pas allé par le dos de la cuillère pour dénoncer le comportement des chrétiens à Madagascar. « 95 voire 98% des branches de l’administration sont occupés par des responsables qui se disent chrétiennes. Pourtant, voyez encore où en sommes – nous », déplore l’Archevêque de Toamasina dans son homélie au cours d’une messe marquant le début de l’Avent, avant – hier dans la ville portuaire. Le Cardinal dénonce ainsi une sorte de « christianisme de façade ». Il appelle les chrétiens à ouvrir les yeux face à la situation catastrophique dans laquelle se trouve le pays et appelle à une prise de responsabilité commune. Selon lui, « les chrétiens sont responsables de la situation de pauvreté qui gangrène le pays ».
Et de poursuivre que « cela ressemble davantage à du cinéma lorsque nous prions ». Il estime qu’une véritable vie de prière doit, avant tout, se traduire par de réels changements. Il ne manque pas de rappeler les principes de base du christianisme qui sont fondés sur l’entraide, l’amour et le soutien mutuel. Des principes qui, en cas d’application effective, pourront réellement conduire à un développement du pays.
Contradiction
Le christianisme prend une place prépondérante à Madagascar. D’après les dernières statistiques publiées par le Pew research center, plus de 80% de la population malgache sont chrétiens. A cela s’ajoute la recrudescence des églises dans les quatre coins du pays. D’autre part, Madagascar se classe pourtant encore parmi les pays les plus corrompus au monde. L’indice de perception de la corruption publié par Transparency International en 2024 place le pays à la 140e place sur 180 pays. Une forte contradiction qui amène à réfléchir.
L’appel du Cardinal Désiré Tsarahazana s’adresse donc à tous les citoyens, y compris ceux qui occupent des postes à haute responsabilité à mettre en pratique les enseignements du Christianisme qui reposent sur des principes majeurs comme l’amour du prochain, le pardon, ou encore le respect de la morale et de l’éthique dans la vie. Dans la pratique, cela implique une ligne de vie guidée par différents vertus comme la foi, l’espérance et la charité. Pour le moment, le fossé entre les théories et la pratique demeure béant."
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